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  • Photo du rédacteurPrudence Nazeyrollas

Traitement médiatique de femmes artistes et célèbres 2 exemples

J'ai été très déçue en lisant cet article du Courrier International car j'ai eu l'impression que nous n'avions pas progressé en un siècle.

Une femme subversive, talentueuse dans plusieurs domaines, et qui réussi, suscite encore et toujours indignation et suspicion.


Je vous propose de lire ces deux articles et de comparer par vous même, les situations, le traitement médiatique de ces femmes, et la vision proposé par les personnes ayant rédigé ces articles; c'est très très intéressant.


Yayoi Kusama se moque-t-elle de nous ? du Courrier International

&


Je vais commenter l'article sur Yayoi Kusama et ajouter quelques considérations personnelles, car plusieurs arguments m'ont semblés être de parti-pris.



Contradictions

Yayoi Kusama n'a jamais caché souffrir d'hallucinations depuis l'enfance ni le fait que sa réponse stratégique par rapport à cela était de ne pas fuir mais d'amplifier l'objet de son horreur (les points, les pénis, etc.). Il n'y a aucune contradiction, contrairement à ce que laisse supposer l'auteur·rice de l'article: c'est justement sa réponse (bien sûr que l'évitement et la fuite sont fréquents face à une peur 1, mais ils ne sont pas la seule réponse possible). Il n'est pas étonnant de retrouver cette logique d'apparente opposition à d'autres sujets dans son œuvre (comme s'y représenter si souvent tout en ayant le désir de s'effacer).



Infinity Rooms

"Infinity Rooms [petites pièces aveugles aux scénographies lumineuses et géométriques], des installations pour lesquelles les gens patientent dans de longues queues dans la rue juste pour prendre un selfie à l’intérieur."


J'ai trouvé ce passage ridicule: est-ce que seulement la personne a vécu l'expérience d'aller dans une infinity room? Clairement, oui, il y a l'envie de prendre une photo, d'immortaliser l'instant, les perceptions, peut-être comme pour garder une preuve de son existence (J'ai pris des photos d'une de ces installations au Musée des Beaux-Arts de Nancy que vous pouvez voir ci-contre). Mais ça va bien plus loin que ça: il y a une confusion qui suspend le temps dans ces installations car les sens sont en contradiction les uns avec les autres: le sens visuel dit que l'espace autour est gigantesque, infini; tandis que l'odorat et la sensation tactile d'humidité ambiante de l'air dit que l'espace est confiné, il y a l'écho aussi de son propre souffle qui nous revient comme nous reviennent à l'infini les lumières via les miroirs.


De plus ses œuvres sont largement antérieures à la mode des selfies 2! Une de ces infinity room (sans lumières mais avec des boules blanches à pois rouges) date de 1965! D'autres versions ont été réalisées dans les décennies suivantes, notamment 2009, 2013, etc.).



Femme et asiatique, double peine

Non seulement Yayoi Kusama a clairement souffert de misogynie et de racisme dans sa vie, mais lorsqu'elle utilise son corps, il est réduit à un objet de séduction. Alors même que ses happenings et certains de ses écrits semblent plutôt indiquer des traumatismes et une réaction de lutte (cf premier paragraphe). Elle subit une double peine pour les femmes non blanches renvoyées à leur corps sexué et exotisée sexuellement.

Yayoi Kusama se retrouve accusée de jouer du stéréotype de l'exotisme asiatique parce qu'elle s'habille à l'Occidentale la plupart du temps et sort son kimono aux grandes occasions. C'est pourtant quelque chose de très fréquent: la plupart des japonais s'habillent à l'Occidentale et, quand iels en ont encore, ne mettent leurs yukata et kimono que lors de fêtes ou cérémonies particulières.



Succès

Le jugement sur le succès n'est jamais porté face à un homme artiste qui réussi.

Pourquoi ne pourrait-elle pas faire des happenings, des sculptures, des vêtements, des livres, etc. et communiquer dessus? Parce que c'est une femme? Parce qu'elle souffre d'une pathologie? Parce que quoi?


"Dans son livre, on trouve un passage très révélateur. Elle y évoque l’artiste [américain] Joseph Cornell [1903-1972], avec qui elle a entretenu une longue relation. Cornell prétendait ne pas se soucier de ce que l’on écrivait sur lui ; Kusama a donc été ravie de découvrir un jour une cachette où il avait conservé tout un tas d’articles passant en revue son œuvre. “Mine de rien, il connaissait très bien les ficelles de ce monde”, écrit-elle. Être un grand artiste est une chose, avoir du succès, jouer avec les médias pour se faire un nom, en est une autre…

Par cette simple phrase, Kusama s’est trahie : elle aussi sait très bien comment cela marche."

Se "trahir" parce qu'on se rend compte qu'une personne n'est pas aussi indifférente que ce qu'elle prétend et parce qu'on sait communiquer... c'est un jugement bien particulier.


Devient-on moins bon professionnel·le parce qu'on a du succès?

Devient-on moins digne de respect?


Ces regards posés sur ces artistes me questionnent aussi sur ce qu'on attend de ces métiers: un désintéressement total? dénuement? sacrifice? sacerdoce qui vire au martyre?

Cela me parle parce qu'on confronte les soignant·es à cela et que ce n'est pas sain. Bien trop de personnes se sacrifient par amour... de l'art, des autres, etc. alors qu'elles méritent d'être rémunérées, respectées, et de s'éloigner du travail et/ou de la souffrance (vacances, périodes de non production, etc.).


S'autoriser le succès quand on est une femme

Cela renvoie à une problématique très fréquente pour de nombreuses femmes (pour certains hommes aussi, mais elle parait plus fréquente chez les femmes): l'autorisation à avoir du succès.

De nombreuses femmes sont mises en échec par un imaginaire collectif qui fonctionne en mode "ou" (carrière ou foyer) et/ou en mode sans échec (la wonder woman qui réussi tout). Le succès devient parfois une envie qu'on refuse de se payer parce qu'il coûterait trop cher, ou un danger (le risque potentiel de perdre quelque chose dans un autre domaine).

Il y a ces représentations, mais ce n'est pas tout, il y a aussi l'absence de représentation: combien de femmes célèbres, épanouies (en tout cas, pas en dépression visible) et qui ont réussi pouvons-nous citer? Pour combien d'hommes?


Comment se projeter dans la réussite avec autant d'épée de Damoclès au dessus de la tête?

Je n'ai pas de réponse toute prête. Les réponses dépendent des questions et chaque personne se les pose à sa manière. J'espère que vous trouverez les vôtres, que vous saurez vous mettre en sécurité et vous épanouir. 3


 

1 Mes spécialités étant la gestion du stress et des émotions, et les TOC et phobies, clairement, je suis bien placée pour savoir que face à la peur, l'évitement et la fuite font partie des stratégies fréquentes. Mais heureusement, heureusement, qu'on n'est pas obligé·e de fuir quand on a peur de quelque chose, sinon on pourrait pas guérir d'une phobie.


2 Il y a toujours eu des selfies si on intègre les autoportraits, et même de manière antérieure les plus anciennes traces d'art sont sûrement des autoportraits (la Vénus de Willendorf est peut-être un autoportrait).


3 N'oubliez pas que vous pouvez vous faire aider par des professionnel·les si besoin.



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