Les dessous du remboursement des séances psy...
Aujourd'hui, je voudrai partager mon point de vue sur ce qui est entrain de se passer au niveau des prises de décisions du gouvernement sur le remboursement des séances chez les psychologues et de leurs conséquences.
Le remboursement, oui! Mais pas à n'importes quelles conditions!
Un bel effet d'annonce pour cacher la misère
Rappel: Le gouvernement propose d'aller voir son médecin généraliste pour pouvoir en répondant à un questionnaire, peut-être avoir accès à 10 séances de 30 minutes de "soutien" avec un psychologue, entièrement prises en charge pour 22€. Ensuite il faudrait aller voir un psychiatre pour 10 nouvelles séances, de "thérapie structurée" cette fois.
Le gouvernement a annoncé les séances remboursées sans consulter les psychologues, sans connaître leur travail, leur métier, et leur quotidien.
Cela va permettre de répondre partiellement à la demande en évitant d'embaucher dans le public où la demande est forte et où il faut urgemment répondre. Le secteur privé ne peut pas et ne doit pas compenser le démantèlement des soins du public.
Le remboursement se ferait sous prescription médicale. Obligeant les patient·es à de nombreux allers-retours chronophages, fatigants, inutiles et coûteux pour la sécurité sociale. Ceci est incompatible avec notre code de déontologie qui affirme que le·a psychologue "favorise l’accès direct et libre de toute personne au psychologue de son choix." Malheureusement si certains médecins sont très bien, professionnels, formés, ce n'est pas le cas de toustes. Certaines personnes ne veulent pas que leur médecin soit au courant de choses privées et notamment tournant autour des troubles mentaux ou psychiques car cela a déjà pu compromettre leur prise en charge par le passé. Par exemple des patientes ont vu les recherches autour de douleurs de règles (endométriose) suspendues quand leur médecin a appris qu'elles avaient des antécédents de dépression, d'autres ont entendu dans des couloirs d'hôpitaux, des soignants échanger sur l'inutilité d'ajouter des antalgiques ("non, mais c'est un patient psy ça").
Cela remet en question le secret professionnel. Il m'arrive d'écrire aux médecins traitant qui m'adressent des patient·es, mais je n'écris ce courrier qu'avec l'accord des personnes et uniquement quand nous en avons vu le contenu ensemble et qu'il convient à la personne. Notre code de déontologie nous impose de préserver "la vie privée et l’intimité des personnes en garantissant le respect du secret professionnel."
La profession de psychologue n'est ni médicale, ni para-médicale, elle opère en dehors, à côté et permet d'avoir accès à des interlocuteurs et interlocutrices indépendant·es. Le remboursement suivant les plans du gouvernement aurait pour effet de saper complètement cette indépendance, ainsi que la pluralité des pratiques (j'y reviendrai dans un autre article).
Le temps
Les séances seront limitées à 30 minutes.
Parfois, il est possible de faire des séances courtes, mais dans l'ensemble ce n'est ni possible, ni souhaitable.
Le temps de la séance
Durant le temps de la séance il faut:
Accueillir la personne, la recevoir, lui permettre de prendre le temps de s'installer
Écouter la demande, aider à la définir précisément, entendre la plainte
Proposer des pistes de réflexion, des éclairages
Expliquer et réaliser des exercices, donner les consignes
Résumer la séance, rappeler les points importants, les exercices
Clôturer, faire la facture pour le règlement, prendre le rendez-vous suivant
Raccompagner la personne
Le soutien et la thérapie sont étroitement liés et imbriqués, on ne peut pas les séparer.
À la chaîne...
Je ne peux pas enchainer deux séances, notre métier d'accompagnement n'est pas anodin, il implique un engagement, une écoute attentive, une centration intense sur la personne en face de nous.
Je ressens le besoin de souffler, revoir les points importants de la séance, s'il y a des choses que j'aurai pu faire différemment, de me détacher, de faire quelques pas, quelques étirements du dos, avant de me sentir prête à pouvoir accueillir une autre personne.
Les outils et les besoins
Certains outils seront impossibles à utiliser comme l'EMDR ou le RITMO, ou difficilement comme l'hypnose, ou les séances de relaxation.
Certaines personnes demandent de l'aide pour être accompagnées en raison de traumatismes. Une fois retirés les temps d'accueil et de clôture, il faudrait que toutes les personnes puissent aborder leurs traumatismes en quelques minutes... Sur le terrain, beaucoup n'arrivent à commencer à aborder les sujets les plus sensibles qu'après une bonne vingtaine de minutes (parfois à la première séance, parfois au bout de plusieurs).
Le temps est une question importante. C'est pour cela que j'ai choisi d'annoncer 45 minutes sur mon site pour des séances de 45 minutes à 1h, et de prévoir 1h30 en cas de besoin (abréaction, RITMO pour les traumatismes, difficultés avec certains exercices, etc.) et ne me voyant pas mettre quelqu'un dehors en pleurs sous prétexte qu'il est l'heure.
L'argent
En mettant les psychologues sous la coupe de l'Assurance Maladie, nos tarifs seront limités et bien sûr jamais revalorisés (comme pour les psychologues de la Fonction Publique, FP).
On nous propose 22€ pour 30 minutes (avec interdiction de dépassement d'honoraires et de cumul de deux séances sur un même jour) alors que nous avons de nombreuses charges (formation, livres, supervision, achats de tests, loyer, électricité, etc.) et heures de travail non visibles en dehors des consultations (courriers, recherches pour les patient·es, factures, information, veille, ménage du bureau, administratif, etc.).
Ce tarif a été aligné sur les psychologues de la FP dont les heures de formations se font sur les temps de travail rémunérés, qui ont la sécurité de l'emploi, et qui n'ont aucune charges!
Exemple de ma situation
L'argent est un thème assez tabou en France, mais il faut aussi savoir arrêter de se voiler la face et montrer les situations telles qu'elles sont.
Cet exemple ne concerne que moi, et je pourrai choisir de corriger le tir financier en prenant moins soin de ma santé et en passant moins de temps à améliorer ma pratique, ce n'est, aujourd'hui, pas mon choix.
Je travaille à mon domicile pour diminuer mes frais et pouvoir travailler malgré mon handicap physique (souvent invisible) mais nécessitant de nombreux aménagements. Je ne peux pas travailler à temps plein.
Charges:
- Mon bureau professionnel fait 20m², et proportionnellement me coûte 200€ de loyer par mois.
- La supervision (j'en eu ai moins besoin avec la pratique mais c'était 80€ la séance).
- Électricité
- Ordinateur (cette année j'ai dû en racheter un, 400- 600€ heureusement ce n'est pas tous les ans!)
- Logiciels, hébergement de site, nom de domaine, boite pro, etc. (en général plus de 100€/an, cette année plus de 500€ car j'ai migré mon site afin de pouvoir proposer la prise de rendez-vous en ligne et des séances sur Zoom, plus sécurisé que Skype).
- Les livres professionnels (en moyenne 500€/an) et les formations (de 500 à plus de 2 000€/an).
- Les impôts: environ 25% du prix de la séance, plus les taxes foncières, etc.
- Les assurances (200€/an)
Temps: (ramené en moyenne sur la semaine)
- Je fais environ 10h de veille d'information et lectures professionnelles.
- Toutes les semaines, nous nettoyons mon bureau (1h)
- Les intervisions et covisions (moyenne d'une heure/semaine)
- Les interventions sur France Bleu (non rémunérées), les articles que j'écris pour le blog Psynancy et parfois d'autres sites (Doctissimo par exemple), les enregistrements (en pause depuis de nombreuses années), etc.
Entrées:
- 50€ la séance en moyenne (en règlement en présentiel ou par virement je propose 40 (solidaire) ou 60 (soutien du solidaire) sans justification).
Nombre de séances maximum théorique par semaine: 14 (si tous les rendez-vous étaient pris et que personne n'annulait à la dernière minute, ce qui n'arrive jamais). Je bloque 1h30 pour chaque rendez-vous de 45 minutes à 1h afin de pouvoir accompagner doucement en cas de problème et souffler entre deux rendez-vous. Donc maximum 21h (sans les heures de veille, d'intervision, de formation, de ménage, et de travail administratif qui font qu'au final j'approche des 35h sans que ma santé ne me le permette vraiment).
Nombre de séances moyennes par semaine: Assez difficile à évaluer... entre 5 et 12? (les épidémies de gastro allègent les semaines).
- Quelques euros par mois grâce aux ventes de "Gestion du Stress au Quotidien".
Ainsi, je gagne environ 2200€/trimestre, ce qui fait un peu plus de 700€/mois brut et 500€ après les premiers impôts (sans avoir retiré les charges puisque je suis en micro-entreprise).
Ayant hérité d'un studio que je loue et mon mari travaillant, nous avons la chance de pouvoir vivre ainsi.
Formations passées:
Ces dernières années j'ai dépensé grâce à l'aide de ma famille plus de 10 000€ pour pouvoir passer mon master (c'est aussi le coût du handicap de devoir payer des études à distance parce qu'on ne peut pas se déplacer). J'ai un master (5 ans d'études) et suivi de nombreuses formations, payantes au cours de ces 10 dernières années. Le coût est énorme et se poursuit. J'ai la chance d'avoir un pécule, une famille et un mari qui me soutiennent physiquement, matériellement et financièrement sinon je n'aurai pas pu réussir mes études.
Je suis fière de mes mentions bien et très bien, de mes formations, j'ai travaillé dur pour les obtenir, mais j'ai pu faire cela car j'étais moi-même aidée.
Conclusions
Nous soutenons le remboursement mais uniquement dans des conditions saines pour les patient·es et les psychologues qui les accompagneront.
Nous ne pouvons pas laisser le gouvernement faire des annonces sans s'être concerté avec les professions concernées.
Nous ne pouvons pas laisser le gouvernement laisser détruire notre profession.
Nous refusons le démantèlement du service publique et le report de la demande vers le libéral.
Nous ne pouvons pas laisser le gouvernement nous imposer des séances au rabais et nous obliger à bâcler nos consultations au détriment de nos patient·es.
Nous ne voulons pas voir une profession très féminisée (plus de 82%) et précarisée être encore plus fragilisée.
Si nous-mêmes devenons encore plus précaires, nous ne pourrons plus vous accueillir aussi sereinement, même avec tous les meilleurs outils du monde.
Il y aura une manifestation le 10 juin 2021.
Vous pouvez également signer et faire circuler la pétition pour nous soutenir et soutenir les personnes que nous accompagnons et accompagnerons à l'avenir.
Vous pouvez partager cet article pour que tout le monde puisse comprendre les enjeux derrière la belle annonce du remboursement et la catastrophe que cela peut représenter pour les patient·es et leurs psychologues.