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  • Photo du rédacteurPrudence Nazeyrollas

Femmes dans l'espace public

Dernière mise à jour : 11 juil. 2020

La rue paraît être un espace neutre, non genré, mais l’étude de son utilisation montre que ce n’est pas le cas et que les espaces publics sont pensés par les hommes pour les hommes.


Chez les jeunes

Dès l'école primaire, on observe des répartitions inégalitaires de l'occupation des espaces des cours de récréation, entre les petites filles et les petits garçons. Ce rapport peut être de l'ordre de l'interdiction « les grands ils nous interdisent de jouer [...] bon bien sûr les filles parce que les garçons ils ont le droit de jouer au foot. » rapportera ainsi une petite fille expliquant les différents espaces, leurs occupations et délimitations de sa cour de récréation.


Alors qu’un enfant sur deux est une fille, on observe que « deux jeunes sur trois pratiquant une activité de loisir subventionnée sont des garçons » (Maruéjouls-Benoit, E., 2014). En ce qui concerne les terrains de sport en accès libre, la situation est encore pire puisque les usagers sont de 95 à 100 % des garçons (skate park, cités stades avec 80 % du temps d’utilisation pour le foot, basket).


Des relevés objectifs montrent que les garçons occupent le centre des cours, tandis que les filles sont reléguées en périphérie (UNICEF, 2018).

En ce qui concerne les cours de récréation, une première piste de développement vers plus d’égalité est de ne pas prédéfinir l’usage (un terrain de foot va suggérer un jeu de foot) afin qu’il puisse être inventé et redéfini de manière souple par les joueuses et joueurs. De plus, une multiplication d’espaces plus petits et semi-intimes permet, en fractionnant, de ne pas laisser un groupe monopoliser l’espace principal. La présence de nature (fleurs, arbres, terre, etc.) semble également permettre de regrouper les deux sexes.

Cours de récréation en espace pensé pour la mixité - les femmes dans l`espace urbain


Penser la géographie et les sciences féministes

La géographie de genre ou géographie féministe, en étudiant les organisations des lieux dits masculins, féminins ou mixtes, va permettre de nous fournir un éclairage sur les répartitions et occupations des espaces urbains.


Pour reprendre l’idée de Hall « Culture is communication & communication is culture », ces espaces sexués vont participer aux représentations stéréotypiques des genres et vont également en découler.

De nouvelles branches d’études et de recherches scientifiques vont apporter de nouvelles connaissances sur l’espace public et les moyens qui peuvent être mis en œuvre pour permettre plus d’égalité et de sécurité.

Les déplacements

Il ne s’agit pas seulement de passer dans l’espace public, mais de se rendre compte des causes et des conséquences, à la fois du passage et de la station dans cet espace public. Ainsi on remarque que les chemins effectués par les femmes sont plus complexes, plus morcelés (courses, crèche, école) mais qu’elles restent plus à la maison. La Communauté Urbaine de Bordeaux, remarque ainsi qu’en 2007, pour les deux tiers des femmes, les déplacements liés aux enfants représentent les deux tiers de leurs déplacements. Elles sont plus souvent encombrées de courses, accompagnant un enfant en poussette ou une personne dépendante. Cette information est essentielle lorsqu’on observe les trottoirs trop étroits, irréguliers, avec des marches au niveau des passages pour piétons, les écarts entre trottoirs et transports en communs, toutes ces choses qui rendent les déplacements avec une poussette ou en fauteuil roulant particulièrement délicats. Une augmentation du nombre de places pour les poussettes et fauteuils roulants pourrait aussi être envisagée dans les bus (pour savoir si cela est pertinent, il faudrait auparavant observer l’utilisation et enquêter sur les besoins des usagers et des usagères).

Les femmes sont particulièrement présentes dans les transports en commun (elles représentent les deux tiers des usager·ères), où elles ont quasiment toutes été victimes « au moins une fois dans leur vie de harcèlement sexiste ou agressions sexuelles, conscientes ou non que cela relève de ce phénomène » (HCEfh, 2015). Elles sont deux fois plus nombreuses que les hommes à craindre une agression ou un vol dans les transports (6/10 contre 3/10, selon HCEfh, 2015) et sont 36 % à craindre d’être seules le soir dans leur quartier contre 9 % des hommes (selon le Centre Hubertine Auclert, 2018). Leur liberté de mouvement est directement entravée puisque 6,6 % ont trop peur pour sortir contre moins d’un pourcent des hommes.


Un problème de santé publique

Les équipements sportifs posent un problème de santé publique d’autant plus quand on sait qu’en général les filles commencent à décrocher du sport vers la 6ème, alors que la pratique régulière d’une activité physique permet d’accroître et de protéger la santé.

Les solutions mises en œuvre pour se protéger, se rassurer, se sécuriser dans l’espace public, peuvent être une source de danger à plus ou moins long terme. Ainsi, les écouteurs portés pour ne pas entendre les interjections, les sifflements, les insultes, le harcèlement de rue, peuvent provoquer des pertes d’audition, des acouphènes et augmenter le risque d’accident en empêchant d’entendre des dangers arriver (klaxon, bruit de moteur, cri, etc.)


D’autres stratégies semblent moins risquées sans être totalement dénuées de risques : se rapprocher d’autres femmes, de groupes de personnes, voir même prendre la main d’un homme inconnu pour se protéger d’un groupe d’hommes. Ce qui m’amène à formuler cette recommandation aux hommes : si un soir, une femme se rapproche de vous dans la rue, vous prend la main ou fait comme si elle était avec vous ; restez naturel, ne dites rien ou jouez le jeu (sans en profiter pour essayer de récupérer ses coordonnées ou la draguer), elle est peut-être victime de harcèlement et/ou se sent en danger et la présence d’un homme à côté d’elle peut décourager d’éventuels agresseurs. Malheureusement, les femmes sont encore largement perçues comme la propriété des hommes, les agresseurs potentiels peuvent préférer une femme seule. Il y a un énorme travail d’éducation à faire pour que la rue soit un espace sûr pour toutes les femmes, seules ou non, mais en attendant, il peut arriver que l’une d’entre elles ait besoin de paraître accompagnée pour sa sécurité.


En attendant que le harcèlement de rue et les violences faites au femmes soient du passé...


Équité, égalité

L’évitement est une stratégie de protection fréquemment utilisée qui peut avoir des conséquences en terme de travail, de santé et de temps disponible (rallongement des trajets, refus de certains horaires, disponibilité réduite, etc.). L’évitement est également un facteur déterminant dans le développement des phobie et l’aggravation des peurs : plus nous évitons un stimuli à cause de la peur, plus celui-ci nous fera peur. Des trajets sont évités car considérés comme dangereux, l’espace public est évité et la liberté de mouvement se réduit.


De plus, se pose la question de l’égalité et de l’équité, lorsque des équipements et aménagements payés par des subventions publiques vont profiter deux fois plus aux garçons ou aux hommes qu’aux filles ou aux femmes. Les activités non-mixtes masculines étant bien plus nombreuses que les non-mixtes féminines.


Les marches exploratoires

Des marches exploratoires ont été mises en place depuis les années 90 au Canada, 2000 en France (avec un développement depuis 2014). Ces marches ont plusieurs intérêts : l’empouvoirement (empowerment) des femmes, la reconquête du territoire, lutter contre l’invisibilisation des femmes dans l’espace urbain (sans parler de l’impressionnante sous représentation des femmes dans les noms des rues), se réapproprier l’espace public, et surtout rechercher ce qui provoque l’insécurité (que ce soit en lien avec les violences sexistes et sexuelles, le harcèlement de rue ou non).


Jusqu’à une dizaine de femmes (si possible d’âges, d’origines et de milieux professionnels divers) se réunissent pour marcher suivant un trajet défini à l’avance (reliant des points généralement souvent fréquentés par elles) et observent la rue et l’espace public afin de chercher, identifier et lister les éléments d’insécurité, elles peuvent s’aider en prenant des notes et des photos avant de débriefer les éléments retenus et de préparer une restitution pour les élus, adjoints des services municipaux. Des actions sont ensuite suggérées aux pouvoirs publics (ajout d’éclairages, de chaises, modification de la signalisation, dynamisation de quartiers, choix de l’orientation des bancs, etc.) et/ou mises en place directement par le groupe (aller en groupe dans des cafés). Idéalement, un suivi régulier est mis en place à la suite de la première marche et de la première restitution afin d’entrer dans une dynamique de réajustement progressif.

« Les marches exploratoires de femmes sont un outil de participation des habitants permettant d’effectuer une analyse critique de l’environnement urbain, qui contribue à l’appropriation de l’espace public par les femmes au service de la sécurité de tous. Elles consistent en des enquêtes de terrain conduites, en lien avec les instances locales concernées, par des groupes de femmes habitant le quartier. Il s’agit, à travers ces marches, d’identifier les éléments d’aménagement du territoire qui peuvent causer un sentiment d’insécurité et d’élaborer des propositions d’amélioration de la situation du point de vue de la sécurité. » Guide méthodologique des marches exploratoires, 2012.

Il y a un énorme travail à réaliser autour de ces thématiques et l’expérience des femmes devrait être valorisée à travers le labeur que représentent les marches exploratoires en terme d’observation, d’analyse, de synthèse, et d’activité de conseil. L’aménagement urbain devrait s’appuyer sur cette expertise afin d’aider les femmes dans l’espace public.


En 2016, la mairie de Paris a d’ailleurs publié un guide référentiel « Genre & espace public » à destination des villes pour permettre la prise de conscience des inégalités de genre et l’amélioration de la situation.

On entend souvent, lorsqu’on s’intéresse à la place des femmes dans la cité, à l’urbanisme ou à la géographie féministe, que les femmes pourraient ou devraient investir les différents espaces (rue, skate park, terrains de sports, etc.), sans se préoccuper de ce qui rend ces mêmes lieux inhospitaliers pour les femmes. Il est nécessaire d’envisager une réelle justice spatiale intégrant une équité femme-homme luttant contre les discriminations dont sont victimes les femmes dans l’espace public. Les politiques urbanistes devraient intégrer des dispositifs d’observation, d’évaluation, de veille et d’ajustement pour aller au plus près d’une égalité effective femme-homme dans les espaces publics.


Pour aller plus loin

Si vous souhaitez approfondir cette thématique, je vous conseille la thèse sur la géographie féministe d’Édith Maruéjouls-Benoit, disponible en accès libre à cette adresse


Vous pouvez également découvrir le guide sur les marches exploratoires qui présente à la fin du document une fiche de synthèse de l’organisation d’une marche exploratoire et des éléments à observer.


Si vous avez le temps, vous pouvez consulter ce petit article, parfait pour illustrer la manière dont son « accueillis » les problèmes des femmes rapportés par elles (notamment à partir de la moitié de l’article « Ville durable: une affaire d’hommes »).


Sources

Albert, M.-D., (2018). Penser la ville pour les femmes, l'aménager pour tous. Le moniteur. https://www.lemoniteur.fr/article/penser-la-ville-pour-les-femmes-l-amenager-pour-tous.1941314

Alouti, F. (2017). Des marches exploratoires « pour réinvestir les espaces publics occupés par les hommes ». Le Monde. https://www.lemonde.fr/societe/article/2017/05/20/des-marches-exploratoires-pour-reinvestir-les-espaces-publics-occupes-par-les-hommes_5131077_3224.html

Alouti, F. (2017). Sexisme, harcèlement de rue, mixité : les femmes à la reconquête de l’espace public. Le Monde. https://www.lemonde.fr/societe/article/2017/01/21/sexisme-harcelement-de-rue-mixite-les-femmes-a-la-reconquete-de-l-espace-public_5066521_3224.html

Centre Hubertine Auclert Centre Francilien de ressources pour l’égalité femmes-hommes, (2018). Rapport Femmes et espaces publics pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans la rue, les transports et les espaces de loisirs. https://m.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/rapport-femmes-espaces-publics-fev2018-hyperliens.pdf

Gilbert, E. (2014). ESPACE, film documentaire, Films-vabanes. Repéré à: http://www.genrimages.org/plateforme/?q=genrimages/voir_fiche2/708

Hespel, E. (2017). 5 conseils pour réussir une marche exploratoire. Élues locales https://www.elueslocales.fr/actualites/collectivites/5-conseils-reussir-marche-exploratoire/

HCEfh (2015). Avis sur le harcèlement sexiste et les violences sexuelles dans les transports en commun. Repéré à : http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hcefh_avis_harcelement_transports-20150410.pdf

Knaebel, R. (2017). Les marches de femmes, un outil pour bannir le harcèlement de rue, les insultes et les violences ? Bastamag. https://www.bastamag.net/Les-marches-de-femmes-un-outil-pour-bannir-le-harcelement-de-rue-les-insultes

LCI, Écoles: les nouvelles cours de récré se mettent au vert, www.lci.fr/green/ecole-les-nouvelles-cours-de-recre-se-mettent-au-vert-environnement-2100276.html

Maire de Paris (2016). Guide référentiel Genre & espace public. https://api-site.paris.fr/images/85756

Maruéjouls-Benoit, E. (2014). Mixité, égalité et genre dans les espaces du loisir des jeunes : pertinence d’un paradigme féministe. Thèse de géographie, Université Michel de Montaigne - Bordeaux III. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01131575/document NNT : 2014BOR30024ff. Fftel-01131575

Maruéjouls, E., Raibaud, Y 2012). Filles/garçons: l’offre de loisirs : asymétrie des sexes, décrochage des filles et renforcement des stéréotypes. Ville école intégration, 2012, p. 86-91. hal-00658958 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00658958/document

UNICEF France (2018). Quel genre de vie ? Filles et garçons : inégalités, harcèlement, relations. Consultation nationale 2018 des 6/18 ans. Repéré à : https://fr.calameo.com/read/005586632e740a0658ba0?

Raibaud, Y. (2014). Une ville faite par et pour les hommes. Friture Magazine, dossier ”demain ma ville”, 2014, page 12 et 13. hal-00974265 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00974265/file/Une_ville_faite_par_et_pour_les_hommes.pdf

Raibaud, Y. (2012). Sexe et couleur des skates parcs et des cités stades. Ville école intégration, 2012, pp.173-182. Hal-00699313 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00699313/document

Raibaud, Y. (2015). Durable mais inégalitaire : la ville. Revue Travail Genre et Sociétés N°33/2015, p 29-47. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01179180/document

Secrétariat général à la Ville (2012). Guide méthodologique des marches exploratoires. Des femmes s’engagent pour la sécurité de leur quartier. Cahiers pratiques, hors-série. Éditions du CIV. http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/sgciv-guidemarcheexploratoire.pdf

Weil, P. (2016). Les marches exploratoires de femmes, une expertise de l’espace urbain. La gazette des communes. https://www.lagazettedescommunes.com/437534/les-marches-exploratoires-de-femmes-une-expertise-de-lespace-urbain/

Weiler, N. (2019). Pour en finir avec des cours de récréation sexistes, où les filles n’existent qu’à la marge. Bastamag. Repéré à: https://www.bastamag.net/Pour-en-finir-avec-des-cours-de-recreation-sexistes-ou-les-filles-n-existent-qu?fbclid=IwAR0_H0jiAuCJ4k9krQG6D1UyRZYaSbxXCCNSo8vDxp85HwSkaCmEqK51ycY

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